Ah, la colère… Je crois bien que c’est l’émotion qui a la plus mauvaise réputation. En séance, j’entends beaucoup de personnes me dire « Moi, je ne ressens jamais de colère » ou encore « Je ne veux pas être dans la colère ». Et pour cause, c’est une émotion qui est quasiment prohibée dans notre société, et que l’on redoute nécessairement. Car dès notre plus jeune âge, on nous dit que « la colère, c’est mal ».
Or, moi, je suis convaincue qu’il y a de très belles colères. C’est une énergie puissante qui nous aide à développer l’une des 15 compétences de l’Intelligence émotionnelle : l’affirmation de soi, si nous apprenons à la mettre au bon endroit.
Alors, si nous changions notre regard sur la colère afin de la voir comme un outil pour avancer, et non plus comme une ennemie ?
1. La colère, une émotion mal perçue
Lorsque nous sommes face à une personne en colère, les stéréotypes vont bon train. Les hommes sont tyranniques, les femmes hystériques. Le discours que Greta Thunberg a donné à l’ONU en 2019 en est le parfait exemple. À travers une allocution argumentée, la jeune activiste écologiste alerte sur l’inaction des politiques contre le changement climatique. Elle est calme, sa colère est maîtrisée, son débit reste audible malgré tout. Mais surtout, nous pouvons remarquer qu’il n’y a aucune expression de violence dans sa colère. Pourtant, cela semble particulièrement gêner la société – médias et personnalités politiques confondus – qui se place en posture de juge. « Irrationnelle », « ridicule », « vestale fiévreuse », « au bord de l’effondrement psychiatrique », « fanatique » et j’en passe : on décrédibilise et diabolise cette colère qui est pourtant juste et maîtrisée.
Je vous invite à regarder la vidéo du discours de Greta Thunberg, puis de lire l’article Haro sur Greta Thunberg, la démoniaque vestale hitléro-maoïste paru dans Télérama afin de comparer le niveau de violence exprimée par l’activiste et par ceux qui parlent d’elle. C’est assez révélateur de notre rapport à la colère : nous la réduisons à ses réactions émotionnelles – autrement dit, notre manière de l’exprimer et les comportements qui en découlent.
Il va de soi que certaines de ces réactions sont inadaptées. Je parle ici de la perte de contrôle ou la violence verbale et physique. Si c’est la façon que nous choisissons pour exprimer notre colère à l’Autre, il y a peu de chances que la personne en face soit dans une position d’écoute et de compréhension. Et c’est aussi probablement ce phénomène qui a contribué à une mauvaise réputation de la colère.
Malgré tout, elles n’en sont pas moins un signal d’alerte de l’émotion qui nous traverse.
En effet, il faut savoir que la colère est une de nos 4 émotions primaires. Il est donc tout à fait normal de la ressentir, au même titre que la peur, la tristesse ou la joie. Je dirais même qu’elle est indispensable pour nous aider à avancer. Placée au bon endroit, la colère est créatrice et nous donne la force de nous défendre et de déplacer des montagnes.
Si l’homme préhistorique n’avait pas notamment été capable de se mettre en colère pour se défendre lui-même, pour défendre les siens et son territoire, nous ne serions probablement plus de ce monde aujourd’hui.
En Intelligence émotionnelle, la colère nous permet également de développer notre affirmation de soi en faisant notamment comprendre à l’Autre qu’il est face à une limite à ne pas dépasser. Avec une belle gestion émotionnelle, les colères peuvent donc être profondément constructives.
2. Le rôle de la colère
Comme toutes les émotions, la colère est un message déclenché par notre cerveau. Il a vocation à nous mettre en mouvement lorsque l’un de nos besoins vient d’être remis en cause. Comme la peur, la fonction de la colère est du registre de la survie. C’est une énergie puissante qui nous pousse à nous défendre, grâce notamment à la sécrétion de deux hormones : l’adrénaline et le cortisol.
Cette vigueur n’est pas anodine. Son intérêt est même très utile : elle nous permet de dépasser notre appréhension du conflit, de l’image que nous allons renvoyer à l’Autre, de ne pas lui plaire, de le perdre, de perdre son affection ou encore de lui faire du mal. Toutefois, cela ne nous donne pas le droit de blesser l’Autre. Si exprimer notre colère est important, la forme et le moment choisis le sont tout autant.
En tant qu’être humain, nous avons tendance à rechercher l’harmonie dans nos relations. Se dire que nous allons devoir dire non peut être en toute logique extrêmement difficile. La colère est donc bel et bien nécessaire pour transcender ses peurs dans les situations qui le nécessitent – celles qui touchent à notre survie, donc. Et c’est tant mieux !
3. Les raisons de la colère
En Intelligence émotionnelle, nous considérons que la colère a deux origines : l’injustice et la remise en question de l’ego.
> Commençons par la première : l’injustice. Elle nous met en colère et heureusement. Grâce à la grande énergie qui va nous envahir, nous allons nous mettre en action pour combattre un préjudice que nous percevons ou que nous sommes en train de vivre. Source de vigueur, l’énergie de la colère est tellement puissante qu’elle va également se maintenir pour nous permettre de tenir sur la durée. Nous le voyons à travers les plaidoiries d’avocats lors de grands procès publics ou les discours d’activistes : ils puisent leur force dans leur colère pour se battre contre une injustice.
Être animé par cette énergie-là est extrêmement créateur. L’enjeu réside donc en notre capacité à apprendre à la transformer en positif, au risque d’être dévoré par sa colère.
> La seconde origine de la colère est la remise en question de l’ego. Ce que j’entends par là, c’est le sentiment de ne pas se sentir respecté ou considéré. Et ce, sans qu’il ne s’agisse d’ego « mal placé ». L’Autre remet en question mon intégrité. Forcément, le feu monte car je me sens menacé, piqué donc je me défends.
Ce qui peut être problématique avec cette notion de remise en question de l’ego, ce sont les différences de fonctionnement d’une personne à l’autre. En effet, nous n’avons pas la même éducation, la même sensibilité ni les mêmes comportements. Dans certains moments, alors que nous partageons la même langue, nous n’avons pas le même langage ni les mêmes définitions derrière chaque mot, par exemple. Cela peut faire naître des incompréhensions : nous avons l’impression que l’Autre va remettre en question le respect qu’il a vis-à-vis de nous, pour la simple et bonne raison qu’il ne fonctionne pas de la même manière que nous. En séance de coaching, j’entends souvent des phrases comme « Moi, quand j’aime quelqu’un, je fais ça. Si la personne ne le fait pas, ça veut dire qu’elle ne m’aime pas. » Il faut donc être vigilant sur les conclusions parfois hâtives car le risque est que la situation devienne extrêmement douloureuse pour vous.
Finalement, nous nous rendons compte que ce qui provoque notre colère peut être une perception de notre part, l’histoire que nous nous racontons ou encore les intentions que nous prêtons à l’Autre. Mais est-ce LA vérité ? À titre d’exemple, lorsque l’on trouve que la vie est injuste de nous faire vivre telle ou telle épreuve, il faut prendre conscience que la vie ne nous doit rien.
La colère demande d’agir avec fermeté jamais avec agressivité.
4. Comment se manifeste la colère ?
Nous l’avons dit précédemment : la colère est une énergie extrêmement puissante. Spontanément, nous allons donc avoir plutôt envie de crier, de « tout casser » ou de taper pour que ça sorte. Pour la simple et bonne raison que le cerveau va diriger le sang vers les mains pour frapper. Dans ces cas-là, cette énergie destructrice va se traduire par des gestes très impulsifs ou l’emploi d’un ton agressif. Ces réactions émotionnelles sont celles que nous redoutons le plus car elles peuvent nous faire peur ou faire peur à l’Autre. Et attention à l’impact sur l’estime de soi.
La colère peut également se manifester par des tensions musculaires, une augmentation du rythme cardiaque (merci l’adrénaline) et de la respiration, une sensation de chaleur qui monte au visage, des migraines ou encore une extrême fatigue.
Indépendamment des signes physiques, il faut savoir que la colère est toujours l’expression d’une douleur. Au-delà des maux, elle se dévoile donc dans un champ lexical bien plus vaste que nous le pensons. Pour vous aider à y voir plus clair, la roue de la granularité émotionnelle est un outil précieux pour identifier les émotions qui vous traversent.
Lorsque nous la regardons de plus près, nous constatons que se sentir frustré, irrité, hostile, menacé, provocateur, jaloux, distant, enragé ou encore blessé sont également des manifestations de la colère. Dans notre vie quotidienne, elle peut de fait prendre des formes multiples :
- La frustration de ne pas se sentir à sa place
- La tendance à être négatif, critique ou cassant
- La jalousie de voir d’autres personnes heureuses
- La volonté de mettre un coup de pied dans la fourmilière
À ce stade, il faut bien comprendre que les réactions émotionnelles associées à la colère – notamment la violence verbale ou physique et la perte de contrôle – sont révélatrices d’une colère mal gérée et mal exprimée.
Or, cette dernière peut tout à fait être très calme, très ferme et donc, constructive. En effet, pour que votre colère soit entendue, il est nécessaire d’aller chercher l’empathie de l’Autre, en lui expliquant notamment vos ressentis et ses causes. Plus nous sommes violent verbalement ou physiquement, plus nous diminuons nos chances qu’il reste à notre écoute. L’Intelligence émotionnelle fonctionne dans les deux sens. Si l’Autre ressent une menace chez vous, il va avoir peur et va donc aller chercher de la sécurité pour se protéger, lui.
💡L’effet « cocotte-minute »Face aux injonctions sociétales, nombreuses sont les personnes à refouler leur colère. Nous prenons le pli de vouloir contrôler nos émotions, courber l’échine, accumuler sans se sentir légitime d’exprimer la colère que nous ressentons pour ne pas être jugés. Cependant, si votre cerveau ne constate pas que vous vous mettez en mouvement, il considère que le message n’a pas été entendu. Il va donc vous le renvoyer, encore et encore, jusqu’à ce que vous réagissiez. C’est l’effet « cocotte-minute ». Vous arrivez à saturation face à ce « trop-plein » général contre lequel vous essayez de lutter. À titre d’exemple, j’entends beaucoup de mes coachés qui s’en veulent de crier sur leurs enfants. La coupe est pleine, et on craque. Soyez indulgents envers vous-mêmes, c’est humain. Il est donc important de prendre conscience de ce mode de fonctionnement, et de faire en sorte qu’il ne devienne pas un automatisme. |
5. Une émotion qui peut en cacher d’autres
Je dis souvent à mes coachés qu’il faut se méfier de la colère. Non pas comme émotion en tant que telle, mais parce qu’elle a la faculté d’en masquer d’autres. Dans notre société, la colère donne une illusion de force. À l’inverse, la peur et la tristesse peuvent être vues comme des marqueurs de vulnérabilité. Par conséquent, un certain nombre de personnes utilisent la colère pour cacher des émotions dites de « fragilité » selon leur cadre de référence. L’enjeu réside donc dans l’identification de l’émotion d’origine pour apporter une réponse adaptée au besoin réel, et non à celui de l’émotion qui est apparente.
Un peu plus haut, nous avons évoqué le rôle de la colère dans notre survie, comme la peur. Parfois, ces émotions sont effectivement intimement liées. Il peut donc être un peu difficile de faire la distinction entre colère et peur. Si l’on se réfère aux réflexes automatiques face à la peur – les 3F : Fight (se battre), Freeze (se figer) et Flee (fuir) –, on constate qu’être dans le Fight peut nous induire en erreur. Dans certaines situations, lorsque nous ressentons une peur viscérale, nous allons nous battre et donc, penser qu’il s’agit de colère. Si l’émotion qui nous traverse est bien la peur, notre réaction émotionnelle se rapproche donc du registre de l’attaque. Or, si la colère est également liée à un enjeu de défense, la réponse adaptée n’est en réalité par l’attaque mais le fait d’obtenir réparation.
Pour ce faire, il est important de prendre en considération les manifestations et signes physiques de la colère et de la peur pour arriver à la différencier. Au-delà de ce qu’il se passe dans notre corps, les adjectifs de ces deux émotions sont également éloignés. Là encore, la roue des émotions est un excellent moyen pour identifier celle que nous sommes en train de traverser afin de trouver la manière adaptée de la gérer.
6. Les clés d’intervention face à la colère
Si vous êtes familier avec la gestion émotionnelle, vous savez sûrement que les émotions sont un processus neurologique bien huilé qui nous fait prendre conscience que l’un de nos besoins vient d’être remis en cause et qu’il faut se mettre en ordre de marche pour le satisfaire. Dans le cas de la colère, il s’agit d’un besoin de réparation face à une injustice ou une remise en question de l’ego, comme nous l’avons vu précédemment.
Ici, la complexité réside dans notre capacité à obtenir réparation soi-même, car l’Autre (ou la vie) n’aura pas toujours envie de réparer ce que nous estimons qu’il a cassé. En partant de ce constat, notre responsabilité est donc de nous respecter et de nous aligner, ce n’est pas la responsabilité de l’Autre. Petite précision, lorsque je parle de responsabilité, j’entends notre disposition à prendre les choses en main et agir pour changer une situation qui nous dérange, et ainsi avancer. Car oui, la colère n’a pas vocation à trouver un coupable ou à condamner l’Autre pour ses fautes et agissements.
💡Vers l’affirmation de soiNous l’avons évoqué en introduction, la colère est très corrélée à l’une des compétences de l’Intelligence émotionnelle : l’Affirmation de soi. Cette dernière est notre capacité à exprimer ouvertement nos sentiments, réflexions et croyances mais aussi à défendre nos valeurs et droits personnels d’une façon non-agressive et non-destructrice. En développant cette compétence, vous aurez dans votre manche un atout considérable pour mieux vivre vos colères et obtenir réparation ! |
Comment faire quand on est en colère ?
- Agir et non réagir sous le coup de l’impulsion
J’ai conscience que ce n’est pas la partie la plus évidente. Pour autant, je vous invite à résister à cette envie de réagir à chaud car vous risquez de regretter vos actes, vos paroles ou vos décisions.
Comme pour la peur, lorsque notre survie n’est pas menacée, il est important de contrôler ses impulsions et d’essayer de se calmer pour réfléchir de manière éclairée.
- Se laisser traverser par la colère
À ce stade, l’essentiel est de laisser passer votre colère. Pour ce faire, il n’y a pas de méthode miracle si ce n’est de prendre du recul. Attention, il ne s’agit pas de mettre votre colère de côté, mais bien de faire redescendre le niveau d’énergie dans un premier temps.
La cohérence cardiaque peut être un bon moyen de faire baisser ce « feu » en vous, en alternant profondes inspirations et longues expirations. Cette forme de respiration va activer le système nerveux parasympathique de votre cerveau et favoriser le ralentissement et la détente de votre corps. Il existe de nombreuses applications pour vous guider dans cette pratique.
Vous pouvez également aller faire du sport, écrire dans un journal pour décharger, danser intensément, aller vous reposer et « dormir dessus »… Chaque personne est unique, à vous de trouver la manière qui vous convient le mieux.
- Aller vérifier l’intention de l’Autre
Une fois que c’est plus calme, il est temps de regarder ce qui s’est passé. Quel a été le déclencheur de votre émotion ? Quelles pensées vous ont traversées à l’origine de cette colère ? C’est à ce moment-là que nous pouvons retrouver les conclusions hâtives que nous évoquions tout à l’heure. J’en profite pour faire un clin d’œil à deux des 4 accords toltèques : « N’en faites pas une affaire personnelle » et « Ne faites aucune supposition » – si vous ne l’avez pas encore lu, je vous invite à le faire.
L’impératif est de ne pas interpréter par vous-même et tirer vos propres conclusions. Vous risquez de passer sur un mode défensif alors qu’en réalité, l’Autre n’a pas du tout voulu vous attaquer. Car, finalement, il y a assez peu de personnes qui veulent remettre réellement en question votre ego. Et heureusement.
Le meilleur moyen de le faire est tout simplement de poser des questions à l’Autre. Car oui, la personne en face de vous peut commettre des maladresses et avoir des comportements qui nécessitent des ajustements. Dans les relations humaines, l’important est de se faire confiance et de communiquer.
- Exprimer ce que vous ressentez de manière constructive
La colère pose les limites et fait sentir à l’Autre que là, c’est non. Il est donc important de prendre le temps de lui signifier ce dont vous avez besoin pour que cela ne se reproduise plus.
Pour être entendu, je vous invite donc à communiquer avec fermeté mais jamais avec violence, qu’elle soit verbale ou physique. Si votre émotion est bien évidemment non négociable, une expression agressive de votre colère ne sera jamais la réponse adaptée.
Pour vous aider à formuler les choses, vous pouvez vous inspirer de la méthode OSBD issue du principe de communication non violente : votre observation des faits → le sentiment que vous avez ressenti → votre besoin → votre demande. Si c’est assez nouveau pour vous, n’hésitez pas à pratiquer cette méthode à l’écrit pour structurer votre pensée et ainsi, mieux la retransmettre.
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J’espère sincèrement que cet article vous aura fait changer de regard sur la colère. Comme nous l’avons vu, cette émotion est l’expression d’une douleur qui nous invite à obtenir réparation en prenant soin de nous, en nous respectant, en nous écoutant nous-mêmes. Fruit de notre pensée et donc, sujette aux interprétations, la gestion de notre colère demande beaucoup de self control. Puisque vous le savez maintenant, le « problème » de la colère n’est pas l’émotion en tant que telle mais bien les réactions inappropriées qui peuvent en découler.
La colère est aussi (et surtout) l’énergie la plus puissante du spectre émotionnel. Mise au bon endroit, c’est une réelle opportunité de changer les choses et d’avancer sereinement dans votre vie. C’est un signal qui mérite d’être considéré. Plus vite vous tendrez l’oreille, plus vite vous serez en mesure d’ajuster, et plus tôt vous vous en débarrasserez !